L'Histoire du chanvre
Sommaire
1. Origines et diffusion du chanvre 2. Le chanvre dans l'Antiquité gréco-romaine 3. Usage au Moyen Âge 4. Interdictions et répressions 5. Redécouverte moderne et recherches médicales 6. Chanvre industriel aujourd’hui 7. Conclusion et atouts1. Origines et diffusion du chanvre
Le chanvre accompagne l’Humanité depuis plus de 10 000 ans et a traversé les siècles dans le monde. Cette plante millénaire possède, en effet, une longue et riche histoire universelle, variée et mouvementée. Elle a joué un rôle important à chaque période, de la Préhistoire à aujourd’hui, en passant par le Néolithique, l’Antiquité, le Moyen Âge et les époques moderne.
Tous les continents ont cultivé le chanvre comme en témoignent les nombreuses découvertes archéologiques dans des sites paléolithiques, néolithiques, de l’âge du bronze et de l’âge du fer. Ces découvertes montrent, d’une part que le chanvre, qu’il soit sauvage ou cultivé, était connu dès ces périodes, et attestent de ses différents usages. On estime que le chanvre est devenu une plante universelle et une culture industrielle pendant la période de l’Antiquité, se retrouvant en Asie, en Europe et au nord de l’Afrique.
Le chanvre serait originaire d’Asie et sa diffusion s’est faite de l’Est vers l’Ouest. Cependant, il n’y a pas de consensus sur le berceau de la culture du chanvre. Certains pensent que c’est en Chine, dans les régions du Sud-Est et du Nord-Est. Pour d’autres, l’Asie méridionale aux abords de l’Himalaya jusqu’à la mer Caspienne ou l’Asie septentrionale. Et pour les plus nombreux, l’Asie centrale à proximité du Caucase, du lac Baïkal et des monts de l’Altaï côté Mongolie et dans la région montagneuse de Sibérie.
La civilisation gréco-romaine a joué un rôle-clé dans le développement du chanvre. Grâce aux explorations vikings, aux conquêtes arabes et au retour des croisés, la plante s’est répandue vers les régions septentrionales de la mer Noire, vers l’Europe centrale (Germanie) depuis l’Ukraine et la Russie actuelles, les pays d’Europe du Nord, la Scandinavie, d’Europe du Sud et vers les pays du Moyen-Orient, de la vallée du Nil et d’Afrique du Nord (à partir de l’Égypte).
Vers la fin du Moyen Âge, le chanvre accompagne les expéditions vers le Nouveau Monde et se diffuse sur le continent américain. Les échanges commerciaux et les conquêtes ont alors largement favorisé l’introduction du chanvre en Amérique. À partir des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, le chanvre et le cannabis se sont également répandus en Afrique méridionale et occidentale. Certains scientifiques estiment néanmoins que le chanvre était déjà présent sur les continents américain et africain bien avant les migrations et les conquêtes militaires.
2. Le chanvre dans l'Antiquité gréco-romaine
Dans la Grèce antique, le chanvre occupait également une place importante dans la vie quotidienne. Comme les Égyptiens et les Hébreux, les Grecs portaient tous les jours des vêtements en fibres de chanvre et utilisaient les produits de chanvre pour le bien-être de leurs chevaux. Vers 450 avant J.-C., le textile de chanvre ressemblait beaucoup à celui du lin. Les Grecs ont d’abord importé le chanvre des civilisations voisines, puis se sont mis à le cultiver eux-mêmes. Ils commerçaient avec les Égyptiens, les Scythes, les Crétois de la Méditerranée orientale et les Phéniciens.
Les Grecs apprirent également des Égyptiens à fabriquer cordes, voiles, tissus et tapis. Ils utilisaient aussi un jus de la plante verte extrait des graines pour soigner le mal d’oreille. Le cannabis était aussi utilisé dans des contextes spirituels ou funéraires, à l’image des pratiques des Scythes. À cette époque, on ne parlait pas encore de propriétés psychoactives, mais de vertus magiques ou sacrées, comme cela se faisait dans la tradition indienne.
Les Grecs, puis surtout les Romains, diffusèrent la culture du chanvre dans de nombreux pays européens du pourtour méditerranéen, y compris en Afrique du Nord. On retrouve ainsi des traces de chanvre dans des poteries, des papiers, des vêtements et d’autres artefacts, répartis dans presque tout le bassin méditerranéen.
3. Usage au Moyen Âge
Vers l’an 500, le cannabis, très utilisé en Extrême-Orient, se répand au Moyen-Orient depuis la Chine et l’Inde grâce aux échanges commerciaux. Dans les années 600, les Germaniques et les Vikings fabriquaient du papier, des voiles et des cordes en chanvre pour leurs bateaux. À la même époque, durant l’avènement de l’Islam, l’alcool est interdit et se voit remplacé par le cannabis — haschich (terme donné au chanvre indien cultivé en Haute-Égypte, repris par les Arabes).
À la fin du Moyen Âge, le chanvre était largement utilisé dans les cuisines italienne, germanique et slave (tartes, tourtes, soupes). L’huile de chanvre était ajoutée à la soupe juste avant de la déguster. Des remèdes antidouleur étaient préparés à partir des graines et des racines de chanvre.
Chaque ferme possédait sa propre chènevière (champ de chanvre), située sur les meilleures terres. Cette culture locale s’intégrait dans les pratiques agricoles, sociales et spirituelles du village. Vers 800, l’empereur Charlemagne, s’inspirant du savoir gréco-romain, a fortement encouragé la culture du chanvre (appelé Vel Canava) qu’il considérait comme une ressource stratégique, au point d’autoriser les paysans à payer leurs impôts en chanvre. Il le mentionne dans le Capitulaire de Villis.
Tout était valorisé dans la plante : graines pour la farine ou l’huile d’éclairage (les moines s’en servaient pour lire la nuit), fibres pour les cordes, ficelles, toiles, vêtements, bâches ou peintures ; résidus utilisés pour se chauffer ; décoctions pour les douleurs, abcès, inflammations, etc.
À la fin du Moyen Âge, Marseille devient un port majeur du commerce du chanvre en Méditerranée. Le mot “Canebière” vient du provençal canebe, lui-même issu du latin cannabis. Dans le Nord, les cultures de chanvre donnaient leur nom aux “Chennevières”.
4. Interdictions et répressions
À partir de la fin du Moyen Âge, la confusion entre chanvre et cannabis commence à s’installer. Il faudra attendre plusieurs siècles pour voir les premières mesures d’interdiction. À la fin du XIVe siècle, l’Inquisition espagnole commence à s’interroger sur les effets du haschich oriental, assimilé à des pratiques “hérétiques” ou “sorcières”. En 1484, le pape Innocent VIII condamne la consommation de cannabis, perçue comme liée au satanisme et à la sorcellerie.
En 1880, le cannabis médicinal est pourtant reconnu par de nombreux médecins européens comme un médicament “d’une valeur exceptionnelle”. Il est alors utilisé sous forme de teinture (cannabis dans de l’alcool) pour traiter la douleur, les rhumatismes, la rage, la peste, le typhus oriental…
Mais durant la Première Guerre mondiale, la France et l’Angleterre promulguent en 1916 une loi interdisant la production, la détention, le commerce et l’usage de “substances vénéneuses” comme le cannabis. Cette décision fait suite à des rumeurs selon lesquelles les Allemands auraient fourni du cannabis et de la cocaïne aux soldats alliés pour les démoraliser.
En 1970, une loi française va encore plus loin : elle sanctionne la culture, la possession, la vente, mais aussi l’usage personnel de stupéfiants, y compris le chanvre. Cette législation demeure toujours en vigueur en France pour le cannabis récréatif.
Fait notable : durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis relancent pourtant la culture du chanvre pour produire cordages, voiles et uniformes. Le chanvre de Manille, produit dans des zones sous contrôle japonais, étant inaccessible, le gouvernement américain produit un film de propagande intitulé “Hemp for Victory” pour inciter les agriculteurs à cultiver du chanvre.
5. Redécouverte moderne et recherches médicales
Au début des années 1960, une découverte scientifique majeure relance l’intérêt autour du chanvre : en 1963, le chimiste israélien Raphael Mechoulam isole le THC (tétrahydrocannabinol), identifie sa stéréochimie, et en 1964, il parvient à l’isoler entièrement. Ce composant est reconnu comme la substance psychoactive principale du cannabis. Cette découverte initie des décennies de recherches sur le fonctionnement du cannabis dans le corps humain.
Dans les années 1980, les recherches sur les cannabinoïdes aboutissent à la commercialisation de médicaments à base de THC, notamment le Dronabinol (delta-9 THC synthétique), utilisé sur prescription médicale pour traiter les nausées et vomissements liés à la chimiothérapie. Il est aussi prescrit pour stimuler l’appétit, notamment chez les personnes atteintes du VIH ou du cancer.
En parallèle, les scientifiques découvrent l’existence d’un système biologique complet : le système endocannabinoïde. Celui-ci régule des fonctions vitales comme la douleur, la mémoire, l’appétit ou encore l’humeur. Cette avancée majeure pousse de nombreux pays à relancer des études sur le cannabis thérapeutique, en tant qu’alternative naturelle à la médecine traditionnelle.
Le Canada est l’un des premiers pays à autoriser l’usage médical du cannabis pour certaines pathologies. D’autres pays emboîtent le pas, notamment les Pays-Bas, l’Allemagne, le Danemark, ainsi que plusieurs États des États-Unis. Ces recherches donneront naissance à plusieurs médicaments à base de cannabinoïdes.
À partir de 1992, plusieurs pays européens (France, Pays-Bas, Angleterre, Espagne, Allemagne) autorisent de nouveau la culture de chanvre à faible teneur en THC. Le Canada suit en 1994, 60 ans après son interdiction.
6. Chanvre industriel aujourd’hui
Depuis les années 1990, le chanvre connaît un véritable renouveau. Sa culture est à nouveau autorisée dans de nombreux pays, mais reste une culture de niche face aux céréales. Pourtant, les débouchés industriels sont nombreux et en constante expansion.
Dans le bâtiment, le béton de chanvre devient une alternative écologique aux matériaux traditionnels. Il est utilisé pour l’isolation, les panneaux de fibres, de particules ou même pour la toiture. Son utilisation s’inscrit dans une démarche de réduction des émissions de CO₂.
L’huile de chanvre refait surface dans les secteurs de l’alimentation, de la cosmétique, et des soins personnels. Les graines servent à produire des compléments alimentaires riches en oméga-3 et 6.
Le chanvre entre aussi dans la fabrication de bioplastiques et de matériaux composites, notamment dans l’industrie automobile. Des marques comme Renault ou Citroën (avec sa gamme DS) utilisent des fibres de chanvre dans la conception de pièces de véhicules : plus légères que l’acier, mais très résistantes.
Parallèlement, le chanvre intéresse de plus en plus le secteur de la mode, les textiles durables, l’éco-construction, mais aussi les marchés innovants des nutraceutiques (nutrition-santé) et cosméceutiques (cosmétiques aux effets thérapeutiques).
Le marché mondial est segmenté par produit (graines, fibres, huile), par application (textile, construction, alimentation, cosmétiques, automobile...) et par zone géographique (Amérique du Nord, Europe, Asie-Pacifique, etc.). L’Europe fait partie du trio de tête avec la Chine et l’Amérique du Nord. La France est le premier producteur européen de chanvre et le 4ᵉ au niveau mondial, derrière la Chine.
7. Conclusion et atouts
À retenir – La France est le premier pays européen tant pour la production que pour la transformation du chanvre.
Le chanvre est aujourd’hui une culture stratégique pour de nombreux pays. Il présente des avantages agricoles, écologiques, économiques et industriels majeurs, dans un contexte mondial de transition écologique et de quête de souveraineté industrielle.
Tous les pays producteurs se livrent une concurrence croissante, et les raisons sont nombreuses :
- ✅ La culture du chanvre est simple, peu coûteuse, rustique, résistante à la sécheresse, et adaptable à tous les climats.
- ♻️ Il s’agit d’une plante zéro déchet : chaque partie peut être valorisée (graines, fibres, huile, résidus).
- 💶 C’est une source de revenus durable pour les agriculteurs, industriels, et investisseurs.
- 🔁 Ses usages sont multiples : bâtiment, cosmétique, textile, alimentation, automobile, papier, etc.
- 🌱 Le chanvre capte le carbone, enrichit les sols, soutient la biodiversité : c’est une plante écologique et durable.
- 🏭 Il favorise la réindustrialisation locale et l’indépendance vis-à-vis du coton, du pétrole ou du plastique.
- 📈 Son potentiel économique et médical est immense, notamment grâce à l’assouplissement progressif des lois sur le cannabis.
Le chanvre est donc bien plus qu’une plante agricole : il est un atout stratégique d’avenir pour une économie verte, durable, et résiliente.